Une Œuvre novatrice

  • Une histoire d'amitié
Même s'il est célèbre pour ses œuvres littéraires et mathématiques, Charles Dodgson est aussi un passionné de photographie. En 1856, il rencontre la petite Alice Liddell qui deviendra une amie chère à son cœur. Ce n'est pas la première fois qu'il entretient une amitié avec une fillette mais celle-ci deviendra vite le modèle de la plupart de ses photographies mises en scènes en s'inspirant des tableaux peints à l'époque romantique. Le plus célèbre des clichés pris avec Alice comme modèle est un portrait où elle est déguisée en mendiante réalisé vers 1858.
Lewis Carroll, Alice Liddell déguisée en mendiante, 1858
Cette histoire d'amitié ne s'arrête pas à une relation de photographe à modèle. Lewis Carroll emmène régulièrement Alice et ses sœurs au Musée de l'université où il enseigne pour aller voir les nombreuses curiosités du moment, tel que le dodo que l'on retrouve dans l’œuvre de l'écrivain. Le petit groupe fait aussi de longues promenades en barque le long de l'Isis, un bras de la Tamise. Durant ces ballades, le photographe se transforme en conteur, inventant des récits fous pour les trois filles Liddell.

C'est au cours de l'une de ces escapades, le 4 juillet 1862, que naît Alice au pays des merveilles. Les quatre compères, accompagnés de Robinson Duckworth, un ami de Charles Dodgson, partent goûter sur l'une des berges de l'Isis. Après cette collation, la petite bande part faire une virée en barque et pour faire oublier le temps froid et humide, Lewis Carroll commence un nouveau récit.

A propos de cette journée, l'écrivain déclarera vingt-quatre ans plus tard : ''Dans un effort désespéré pour explorer un nouveau type de conte de fées, j'avais, en guise de point de départ, envoyé mon héroïne [Alice], au fond d'un terrier de lapin, sans avoir la moindre idée de ce qui se passerait ensuite…''.

 Tim Burton (réal), Alice in Wonderland, 2010

La petite Alice Liddell fera promettre à Charles Dodgson de publier un jour son récit. Cent cinquante-trois ans plus tard, c'est sans nul doute l’œuvre la plus connue de Lewis Carroll, signe que son amitié avec la petite fille est immortelle.
  •  Un rejet de l'époque et des codes de la littérature enfantine
    Durant l'ère victorienne, de nombreux auteurs comme Dickens, Hugo ou Zola se dressent afin de faire cesser le travail des plus jeunes; ils décrivent leurs conditions de travail, amenant une prise de conscience chez les populations. En cela, on dit qu'ils ont peu à peu créé l'enfance.

     Oliver Twist, réalisé en 2007, 
    reprennant le thème du roman éponyme de Charles Dickens.

    Parallèlement, l'éducation progressant, de plus en plus d'enfants savent lire au XIXè siècle. La littérature enfantine sert à inculquer des valeurs morales et parfois religieuses aux enfants afin qu'ils deviennent de bon sujets. C'est alors l'un des seuls objectifs des livres pour la jeunesse. Les nombreux magazines et revues publiés à l'époque à destination des enfants ne sont pas fait pour plaire. Dans le récit de Lewis Carroll, Alice se demande d'ailleurs: « À quoi bon un livre sans images, ni dialogues ? ». 

    Avec l'apparition de techniques permettant de colorer et de reproduire à volonté les images dans les livres, peu à peu, les illustrations arrivent, faisant apprécier aux enfants les lecture et donnant une nouvelle dimension aux livres pour enfants.
    Travail d'Edmund Evans, graveur sur bois et éditeur de livres.
    Avec cette nouvelle vision de la littérature enfantine apparaissent de nouveaux genres de récits. Lewis Carroll, en écrivant Alice au pays des merveilles écrit pour la première fois un conte sans morale. Le récit d'Alice au pays des merveilles est aussi différent car c'est l'un des premiers contes a ne pas utiliser de fées ou de sorcières pour créer l’irréel et l'imaginaire. Lewis Carroll détourne seulement des sujets du quotidien pour les transformer en choses loufoques ce qui fait de son univers un monde unique et merveilleux : le pays des merveilles prend vie.

    • Un univers non-sensique

    Non-sense : (locution anglaise) littéralement : ''sans sens'', qui n’a pas de sens, absurde, sans logique.

    Lewis Carroll définit lui-même son univers comme étant non-sensique mais pour rendre son univers si étrange et fou, il utilise plusieurs procédés.

    Tout d'abord, les personnages : on le voit dès les premières pages du livre, avec l’apparition du lapin blanc et de sa montre à gousset. Ce lapin est d’ailleurs l'un des personnages les plus emblématiques du livre car c’est lui qui entraîne (et guide) Alice au pays des merveilles. 
    Hier il y avait un lapin dans mon jardin, je l'ai suivi, on ne sait jamais...
    Cependant, le lapin blanc n’est pas le seul personnage étrange de l’œuvre de Lewis Carroll. En discutant avec toute personne ayant vu ou lu Alice, le chat du Cheshire, chat mystique au sourire excentrique ou encore les jumeaux Tweedledee et Tweedledum et leurs histoires plus étranges les unes que les autres font aussi partie des personnages fameux du conte. En effet, ce qui fait de ce livre une œuvre marquante, c'est la quantité de personnages tous plus déjantés les uns que les autres. La plupart sont ''simplement'' des animaux dotés de la parole et de pouvoirs, comme le lapin blanc et le chat du Cheshire, aux façons de penser  parfois un peu décalées et qui ont le don de perturber notre héroïne. Mais les animaux ne sont pas les seuls à devenir des êtres insolites : les objets prennent vie comme les soldats-cartes de la terrible reine de cœur qui, selon Alice est : ''pompeuse, tyrannique, méchante, grossière et laide'' et qui deviendra par la suite l'ennemie de la petite fille, d’où le célèbre ''Coupez-lui la tête !''.

    « Fleurpageons
    Les rhododendroves
    Gyrait et vomblait dans les vabes
    On frimait vers les pétunias
    et les momerates embradent »
    .

    On peut aussi voir que le récit est ponctué de situations improbables : Par exemple, on peut lire dans le chapitre ''Un thé chez les fous'' : ''La table était une grande table; pourtant les trois convives étaient serrés les uns contre les autres à l’un de ses quatre angles. «Pas de place ! Pas de place !» s’écrièrent-ils dès qu’ils virent Alice s’approcher d’eux''. Ce thé en compagnie du Chapelier toqué, du lièvre de mars et du loir est un exemple des scènes irrationnelles de l’œuvre : malgré le fait qu'il reste de la place sur la table, les trois compères refusent obstinément que la jeune Alice s'assoie en leur compagnie car il n'y a ''pas de place''.
    Un autre exemple de situation étrange dans le conte se rapporte au match de croquet que fait Alice contre la reine de cœur. Ici, les crosses sont remplacées par des flamants roses multicolores et les balles par des hérissons léthargiques tandis que les cartes font office d'arceaux pour le jeu.

     Extrait du Disney Alice in Wonderland

    Cette galerie de personnages et ces situations déjantées sont novatrices à l’époque de Lewis Carroll puisque les livres qui étaient publiés étaient alors essentiellement des romans de littérature ou alors des contes moralisateurs. Avec ce livre, l'auteur crée un espace de liberté vis-à-vis de la société victorienne dont les valeurs sont opposées à celles de l'oeuvre. Alice devient donc une petite fille perdue dans un monde où elle cherche à trouver sa place, grandissant et rapetissant, n'étant jamais à la bonne taille par rapport à l'endroit où elle se trouve. Avec l'histoire du pays des merveilles, Lewis Carroll permet aux enfants de la société victorienne de rêver et insuffle ses propres rêves au récit.

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